J’ai lu La vie en sourdine pour la première fois peu après sa sortie, en 2008 ou en 2009.
Cette fiction d’un professeur de linguistique malentendant à la retraite m’avait beaucoup parlé. Enfin un roman qui parlait de ce que je vivais au quotidien (le côté malentendant, hein, pas la retraite encore…) !
Que ce soit les moments où les piles des appareils tombent en panne, les façons diverses et variées que l’on imagine pour bluffer, faire comme si et d’une façon générale donner le change, ou les quiproquos qui peuvent en découler, tout était abordé !
L’écriture délicieuse de David Lodge, avec sa touche habituelle d’humour, sonnait juste. Porté par le vécu de l’auteur, qui a quitté l’université lui aussi vers l’âge de 52 ans pour se consacrer à l’écriture, mais aussi en raison de ses problèmes d’audition, le roman parle des ressentis liés à la perte d’audition avec une légèreté pleine de gravité.
Comme le dit Desmond, le personnage principal,
« la surdité est une sorte d’avant-goût de la mort, une très lente introduction au long silence dans lequel nous finirons tous par sombrer ».
C’est ainsi que, tout en faisant sourire, l’auteur évoque des thèmes tragiques, comme le handicap, la vieillesse et la mort.
Le moment délicat où le père de Desmond est pris d’une envie pressante sur l’autoroute, et ne parvient pas à arriver aux toilettes à temps, tout ça en raison d’un malentendu dû aux problèmes d’audition de part et d’autre, montre bien ce côté comique empreint de sérieux.
Les situations difficiles sont abordées avec légèreté, et les comportements dû à la perte auditive ressortent d’autant mieux :
Que ce soit la réticence initiale de Desmond à aller à ses cours de lecture labiale, ou sa réaction de parler pour ne pas avoir à écouter quand ses piles d’appareils auditifs lâchent juste avant une soirée, et jusqu’à la petite phrase coquine murmurée à l’oreille de sa femme qui est chuchotée trop fort pour que les autres convives n’en profitent pas aussi (mettant ainsi sa femme dans l’embarras).
C’était le premier roman que je lisais où tout était vu à travers le filtre de la perte d’audition. Et j’avais été enthousiasmée.
Je suis en train de le relire, et je me rends compte à quel point mon point de vue a changé en six ou sept ans.
Le roman est toujours bon, et drôle.
Le narrateur sait prendre la distance nécessaire avec son handicap pour en montrer les côtés amusants, qui touchent au ridicule.
Cependant, quelques éléments m’ont semblé incohérents à la deuxième lecture, alors qu’ils ne m’avaient pas sauté aux yeux la première fois.
En particulier le personnage qui, au milieu d’un environnement bruyant, tente d’écouter son interlocutrice en rapprochant son oreille de sa bouche, et en plongeant le regard dans son décolleté : peu probable. L’effet est amusant, mais il me semble qu’une personne malentendante aurait tendance à fixer la bouche de l’autre, peut-être en se rapprochant de façon presque gênante, mais pas à se couper du soutien visuel de la compréhension qu’est la lecture sur les lèvres (et ce, même si la personne n’a pas reçu de cours de lecture labiale. La compensation visuelle se fait automatiquement).
Et j’ai eu plus de mal avec certains termes employés. En effet, le narrateur se moque volontiers de lui-même, un « sourdingue », « dur de la feuille » qui va finir par être « sourd comme un pot ». Bien sûr, il s’agit là du parti pris de l’auteur, qui raconte l’histoire avec les mots de Desmond, son narrateur, qui dit lui-même que « La surdité est comique, alors que la cécité est tragique. » Mais peut-être que les mots choisis par les traducteurs sont un peu vieillots, et ce côté désuet rend la moquerie plus amère pour moi.
En relisant le roman, je découvre jusqu’où mon rapport avec ma surdité a évolué. A l’époque, j’en étais au tout début de mon cheminement, et j’avais beaucoup de mal à assumer ma perte auditive. Le livre avait eu l’effet d’une bouffée d’air frais, et j’en avais bien besoin.
Maintenant, j’assume de mieux en mieux. Ce n’est pas parfait, et il m’arrive encore de bluffer, mais de moins en moins. Et j’ai moins besoin de la bouffée d’air frais.
Du coup, je suis plus critique, je remarque plus rapidement les éléments qui me gênent. La lecture de La vie en sourdine en devient un peu moins délicieuse que la première fois.
Je recommande toujours chaudement ce roman, qu’il serait dommage d’ignorer. Et je serais intéressée, si vous l’avez lu, de savoir ce que vous en avez pensé.
Avez-vous lu d’autres romans ou livres ou vu des films qui abordent le thème de la malentendance ou de la surdité ? Vous y êtes-vous reconnus ? Qu’en avez-vous pensé ?