Portrait : Evelyn Glennie, une icône ?

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J’ai découvert l’existence de cette musicienne il y a maintenant quelques années, en regardant sa conférence TED sur comment vraiment écouter (vous pouvez mettre les sous-titres en français sur cette vidéo). Evelyn Glennie, c’est avant tout une célèbre percussioniste. Elle est écossaise, c’est la première musicienne à avoir une carrière de percussioniste classique soliste. Elle a même été nommée Dame Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique par la reine Elisabeth II pour ses services rendus à la musique, et elle va avoir 50 ans cette année. Oh, et elle est sourde…

J’ai entendu parler d’elle à un moment où je me débattais avec ma perte auditive. Je venais de perdre encore 20% de mon audition, et avec 50% de perte auditive dans chaque oreille, je me faisais du souci pour l’avenir. J’étais aussi en deuil, et je pensais que je ne pourrais plus jamais faire de musique, que mes heures passées à chanter en m’accompagnant au piano, à écouter de la musique ou à jouer des sonates à la flûte à bec avec ma mère et mes frères, étaient pour toujours révolues. Et puis, j’ai regardé cette vidéo TED. J’ai entendu la musique que cette femme sourde parvenait à faire, sans jamais laisser son handicap l’empêcher d’être musicienne. Quelque chose a changé pour moi à ce moment-là.

J’ai fait quelques recherches sur Evelyn Glennie, et en regardant les divers films, vidéos et essais qu’elle a faits, j’ai compris que sa surdité avait peu d’importance pour elle. Elle n’aime d’ailleurs pas en parler aux journalistes, car cela ne change rien à la musicienne qu’elle est. Cependant, après s’être rendu compte que, si elle ne répondait pas aux questions sur son audition, les journalistes avaient tendance à inventer des choses juste pour pouvoir en parler, elle a écrit un essai à ce sujet. Son Hearing Essay, écrit en 1993, tente de rétablir la réalité de son vécu par rapport à sa surdité. Elle y explique qu’elle n’est pas totalement sourde, mais qu’elle a une surdité profonde. Cela signifie que la qualité du son qu’elle perçoit n’est pas assez bonne pour lui permettre une compréhension de la parole à partir du son seulement. Elle s’appuie donc énormément sur la lecture labiale pour obtenir le sens des paroles prononcées.

Evelyn Glennie commence à perdre l’audition à 8 ans, et devient sourde profonde à 12 ans. C’est aussi à cet âge-là qu’elle commence à prendre des cours de percussions. Elle décide alors de retirer ses appareils auditifs pour apprendre à écouter avec tout le corps plutôt que de se concentrer sur le son perçu (ou pas) par ses oreilles. Son professeur l’encourage, et elle finit par intégrer la prestigieuse Royal Academy Music de Londres, d’où elle sort diplômée à 19 ans.

Evelyn Glennie ne parle pas la langue des signes, et s’exprime parfaitement bien en anglais, avec un charmant accent écossais d’ailleurs. Dans son essai, elle explique aussi qu’elle peut utiliser le téléphone, si c’est surtout elle qui parle, et que son interlocuteur tape avec un stylo sur le micro pour communiquer d’après un code qui lui permet de comprendre quelques mots. Cela m’a donné des idées pour pouvoir continuer à utiliser le téléphone même si ma perte auditive s’accentue.

Au début de sa conférence TED, elle annonce que son objectif, c’est d’apprendre aux gens comment écouter. Quelle mission pour une personne atteinte de surdité profonde ! Après avoir regardé la vidéo de cette conférence, je me suis demandé si toute perte auditive n’était pas une chance, une opportunité pour apprendre à écouter. Un appel à écouter différemment, peut-être, mais aussi un encouragement (pour ne pas dire une obligation) à mettre plus d’attention sur un processus qui est sinon tellement naturel que personne n’y pense vraiment. Et en apprenant à vraiment écouter, on apprend à percevoir d’autres choses aussi, et à communiquer autrement. Et il est ensuite tout naturel de vouloir partager ou enseigner les compétences que l’on a acquises et développées en s’adaptant au handicap.

C’est peut-être pour cela qu’en sortant de la première sensibilisation que j’avais animée, il y a deux ans de cela, je me suis sentie si bien. Je venais de passer deux heures à parler à un groupe de personnes de ce que c’est qu’être malentendant, et de comment communiquer avec quelqu’un qui entend mal, et j’en suis sortie émue de la façon dont mon intervention avait été reçue, et remplie de joie d’avoir eu cette opportunité. J’étais à ma place. C’était comme si soudain, quelque chose justifiait ce handicap que j’avais eu tant de mal à accepter. Si je pouvais partager cette expérience avec d’autres, et en tirer quelque chose de positif et d’universel, alors cela valait le coup !

Evelyn Glennie a été pour moi une héroïne, une icône, un exemple. Peut-être parce qu’elle m’a aidé à découvrir que cette force que j’admirais chez elle, je l’avais aussi au fond de moi, et qu’il suffisait de pas grand chose pour la laisser s’exprimer. La force d’oublier le handicap. De vivre sa vie simplement, en s’adaptant à ce qui est, et en transformant nos faiblesses en atouts uniques. La force de réaliser ses rêves, et de répondre à ceux qui s’interrogent :

« Even so, no one really understands how I do what I do. Please enjoy the music and forget the rest. » (« Malgré cela, personne ne comprend vraiment comment je fais ce que je fais. Appréciez simplement la musique et oubliez le reste. »)