Un audiogramme, c’est simple.
Prenez six fréquences des graves aux aigus, voyez à quel nombre de décibels chaque fréquence est perçue, et voilà .
Mais quand on est dans le cagibi, en train de passer le test, le casque sur les oreilles, ce n’est pas si facile de dire à quel moment on entend chaque fréquence.
Le médecin fait tourner sa molette, l’oeil de plus en plus inquiet au fur et à mesure qu’il la tourne, tandis qu’on reste inerte sur le fauteuil, à se demander si le vague couinement qu’on entend est un acouphène ou si c’est bien la fréquence qu’on est censé entendre.
Après ce test-là , on sait si on a perdu 10, 20 ou 50 % de son audition, grâce à un calcul savant d’après un algorithme, qui apparaît en petit sur un coin de la feuille.
C’est rassurant de pouvoir mettre un chiffre sur son audition.
J’ai perdu 30%, ou 50% des deux oreilles. 80% d’une oreille, 30% de l’autre. Cela semble vouloir dire quelque chose, et notre interlocuteur va faire un Oh ou Ah plein d’empathie, et on aura l’impression d’avoir été compris.
Mais en fait, cela ne signifie pas grand chose.
Car ce qui importe, ce ne sont pas les sons que l’on perçoit.
Ce sont les mots que l’on comprend.
Et cette compréhension est aussi testée lors d’un audiogramme. C’est d’ailleurs la partie du test que je redoute le plus.
Des mots sont prononcés par une voix d’homme ou de femme, dans une oreille, puis dans l’autre, d’abord tout doucement, puis de plus en plus fort, et on doit les répéter. Ou du moins, on doit répéter ce que l’on comprend.
Il y a certains mots que je ne comprends pas du tout : impossible de répéter quoi que ce soit. Puis, le son augmente, et il y a certains mots que je crois comprendre, mais je n’en suis pas sûre. Je répète, mais entre le vallon et le ballon, le poteau et le bouton, ce n’est pas évident. Alors je choisis un mot et je le dis, sachant que c’était peut-être l’autre en fait (ou un troisième auquel je n’aurais pas pensé).
Une difficulté supplémentaire provient du fait que les mots ne sont pas tous dans le même registre linguistique, et que certains sont vieillots ou peu usités (par moi en tout cas). Une liste type peut inclure des mots comme « le tripot », « le saindoux », « le bambin », « le défi », et « le brigand ». Qui parle encore de tripot et de brigand dans le langage courant ? Du coup, la tendance est forte, même si j’ai bien entendu le mot, de le modifier pour dire quelque chose de plus acceptable dans le langage courant.
Ce test-là montre vraiment ma compréhension auditive à l’état brut.
Plus on est malentendant, et plus il faut de décibels pour qu’on parvienne à comprendre ces mots correctement (sans aide visuelle, bien sûr). Et on arrive à un stade où, même avec un volume élevé, on ne comprend pas tous les mots.
Après, j’ai de la chance. Ma compréhension est plutôt bonne. Ce qui fait que je peux avoir une conversation avec quelqu’un, dans un milieu calme, sans appareils. (Et des fois je les oublie, sauf que quand je me retrouve en ville ou dans un environnement bruyant, je le regrette bien…)
D’autres personnes, avec une perte similaire à la mienne, peuvent n’avoir aucune compréhension sans leurs appareils. Et peut-être que d’autres s’en sortent encore mieux que moi sans appareils !
Pourquoi cette différence ?
Aucune idée.
Peut-être que c’est plus facile de garder une meilleure compréhension si on se fait appareiller le plus tôt possible. Plus la surdité est importante au moment de l’appareillage, et plus c’est difficile pour le cerveau de s’adapter à un volume d’audition « normal ».
J’imagine aussi qu’un cerveau plus jeune aura moins de mal à garder l’élasticité nécessaire à la compréhension qu’un cerveau plus âgé.
Mais en fait, les raisons de cette différence m’échappent. Chaque surdité est différente, c’est sûr, et cela affecte énormément la capacité de compréhension, qui va varier d’une personne à l’autre.
Une chose est sûre, ce n’est pas parce que j’entends un son que je le comprends.
Il y a des jours où ma compréhension est moins bonne que d’autres. Ma moitié me fait alors remarquer que j’entends vraiment mal, ce jour-là . Mais en fait, ce n’est pas que j’entends mal, c’est que je comprends mal. Du son parvient à mes oreilles, mais pas les mots. C’est comme si on me disait quelque chose du genre : « Glou biblou bam ripe ». Aucun sens.
Quelquefois, c’est parce que j’ai plus d’acouphènes ce jour-là , et j’ai l’impression d’avoir la tête dans un brouillard. Ou bien, je suis fatiguée, ou préoccupée, et j’ai du mal à me concentrer. Et il y a des jours où je n’ai aucune idée de la raison, mais je comprends juste vraiment moins bien.
Quand on perd l’audition, c’est la compréhension qui part en premier. On a l’impression, tout à coup, que tout le monde marmonne ou parle dans sa barbe. C’est pour cela qu’on ne se rend pas compte qu’on a perdu de l’audition (et qu’on accuse les autres, en passant) !  Parce que les sons, on les entend toujours ! Mais leur sens est de plus en plus difficile à décoder.
Et vous, quelle est votre expérience de la perte auditive ? Comment percevez-vous les sons ? Ou comment avez-vous remarqué qu’un de vos proche avait perdu de l’audition ?
Merci pour cet article et les autres ! Je me sens moins seule et quand je lis ce que tu écris c’est exactement ce que je ressens. Ça m’aide à prendre du recul et à me déculpabiliser et à mieux accepter ce handicap.
Merci de ton commentaire, Maria ! Je suis ravie que cet article et les autres te parlent ! C’est exactement pour ça que j’ai créé ce blog, et cela m’aide aussi à prendre du recul par rapport à ma perte d’audition. Au plaisir de te lire !
« Comment percevez-vous les sons ? »
C’est plutôt difficile à expliquer. Je dirais que je perçois le monde en sourdine; un peu comme si une personne n’ayant pas de difficulté de compréhension devait écouter une conversation derrière une porte. Car si je ne tends pas l’oreille, je ne comprends pas et ce, même si la personne se trouve à mes côtés.
Pour certaines personnes, je les comprends très bien si elles se trouvent face à moi, par contre pour d’autres, c’est loin d’être le cas. Cela dépend du timbre de la voix je pense.
Si j’entends un chien aboyer par exemple chez un voisin (sans autres pollutions sonores bien sûr, sinon je ne l’entends pas), je vais avoir l’impression que le chien est très loin alors que la personne se trouvant à côté de moi va trouver cela insupportable. (J’en ai encore fait l’expérience cette semaine).
Maintenant, question radio, télévision ou autres, impossible de comprendre les paroles, même si le volume est élevé et question musique, pour moi, je le ressens comme un simple bruit sans rythmique; autant dire une horreur.
Voilà un peu,
Franck.
Merci de partager ce vécu, Franck ! Pour moi, j’entends la rythmique et souvent la basse de la musique, mais pas vraiment de mélodie ou d’harmonie. Quant aux paroles, autant oublier ! Et la télévision, c’est mieux depuis que mes appareils ont été réglés, mais heureusement qu’il y a les sous-titres !!
J’imagine aussi qu’un cerveau plus jeune aura moins de mal à garder l’élasticité nécessaire à la compréhension qu’un cerveau plus âgé.
Je confirme pour avoir été équipé dès l’âge de 3 ans et suivi toute ma scolarité en milieu normal même si cela a été difficile. Pas en terme de suivi, mais plutôt les profs/instits qui doutaient tout le temps de mes capacités à réussir (et indirectement d’être en échec si j’y arrivais pas)..
Quand je vois ton audiogramme, le mien est vraiment plus bas et que je n’ai qu’une oreille valide, j’arrive à m’en sortir dans la vie courant, bruit excepté (moins en ce moment, à force d’être au calme). Mais il fut un temps (la fraiche vingtaine) ou en milieu de bruit, j’arrivais de façon « magique » à bien capter ce qui se disait, maintenant c’est impossible.
Oui, tout à fait, je pense que la jeunesse du cerveau aide. Mais même en étant plus vieux, on peut récupérer de la compréhension grâce à cette plasticité cérébrale presque magique !
C’est génial que tu arrives aussi bien à t’en sortir avec seulement une oreille et un audiogramme pas évident ! Est-ce que tu compenses beaucoup visuellement (lecture labiale, etc.) ? Est-ce que tu as un appareil hyper performant ?
bonjour Armelle, ces articles sont très intéressants. Ma mère perd pas mal de son audition donc je comprends un peu ce qui se passe. Petite, j’allais souvent dans des colonies de vacances aux états-unis sans rien comprendre de la langue, et encore aujourd’hui je suis mariée à un libanais, ce qui me plonge dans la solitude de l’incompréhension quand je vais voir ma belle-famille arabophone. Je fais des recherches sur les façons de communiquer avec la musique en ce moment pour développer mon blog musique-plein-vie.com, car je suis musicienne. Comme je suis aussi formatrice en alphabétisation, je me retrouve toujours avec des problèmes similaires, d’écouter, faire écouter, entendre, comprendre, faire comprendre. J’ai remarqué qu’un bon outil était d’arriver à ce que les deux personnes qui dialoguent arrivent à faire le calme en elles. Ce n’est pas évident dans la vie quotidienne, mais en tout cas, la pratique de la méditation comme tu le dis ou du mandala, me mets dans des états similaires de bonheur à ceux que j’éprouve avec la musique. Je trouve en tout cas que la distinction entre entendre et comprendre est très juste ! Voici un de mes articles si tu veux le commenter, ce sera avec plaisir ! http://musique-pleine-vie.com/les-1001-bienfaits-de-la-musique/
Bonjour et merci de partager ton blog ! J’ai aussi trouvé que l’immersion dans une langue étrangère pouvait être très similaire à la situation d’un malentendant dans sa langue maternelle, y compris au niveau de la fatigue et du moment où le cerveau ne parvient plus à rien comprendre. Je vais découvrir ton blog avec plaisir !