J’ai mis du temps à dire aux autres que j’avais un problème d’audition.
Et une fois que j’ai commencé à en parler, j’ai mis du temps à trouver la bonne terminologie pour me faire comprendre.
Parce qu’un « je n’entends pas bien » était promptement ignoré par mon interlocuteur, qui pensait peut-être à une gêne momentanée ou un manque de concentration, tandis qu’un « je suis sourde » appelait inévitablement une réponse du genre « Ah mais alors tu parles la langue des signes ? » ou une articulation exagérée qui empêchait toute lecture labiale, et me donnait plutôt envie de pouffer de rire. Parler de surdité pouvait aussi créer une telle gêne chez mon interlocuteur qu’il finissait par éviter de communiquer avec moi. La peur de ne pas savoir comment faire, j’imagine. Et je le comprends tout à fait, car je peux me sentir tout aussi démunie face à un sourd signant qui ne parle pas.
J’ai opté pour « Je suis malentendante ». Parce que les gens me prennent alors au sérieux, mais n’ont pas tendance à fuir avant d’avoir essayé d’en savoir plus. Et aussi, je suis à l’aise avec ce terme. J’ai accepté suffisamment ma perte auditive pour l’assumer.
Chaque personne sourde ou malentendante doit faire ce cheminement pour savoir comment se qualifier. La plupart du temps, la terminologie est la suivante : Une personne sourde, c’est une personne qui n’entend pas, tandis qu’une personne malentendante entend, mais (plus ou moins) mal. La surdité est un terme qui convient pour tous, par contre. Par exemple, je me considère comme malentendante et non sourde, mais je peux parler indifféremment de ma surdité ou de ma perte d’audition.
Mais c’est beaucoup plus compliqué que cela ! Parce que chaque personne sourde ou malentendante est différente, et chacun vit cette surdité ou cette perte d’audition différemment, et choisit le ou les termes qu’il préfère utiliser pour parler de sa surdité.
J’ai entendu des personnes, malentendantes d’après ma définition, dire qu’elles étaient sourdes. D’autres disent : « J’entends mal et je suis appareillé ».
Et les différences vont plus loin ! Certains sont nés sourds ou malentendants. D’autres le sont devenus. D’autres encore sont nés sourds, mais suite à un appareillage ou un implant, ont recouvré une partie de leur audition. Sont-ils sourds ? Ou malentendants ? À chacun de trouver le terme qui lui convient.
En outre, la perception auditive de chaque malentendant est différente ! Moi, j’ai perdu surtout des médiums. Les sons que j’entends sont déformés d’une certaine façon qui est propre à ma surdité. Une personne qui a perdu davantage d’aigus, ou de graves, aura une expérience auditive complètement différente.
Alors, certains écoutent ou jouent de la musique. D’autres non.
Certains peuvent suivre un film au cinéma sans sous-titres, d’autres ont plus de mal et pour d’autres encore, c’est complètement impossible.
Certaines personnes se sentent bien dans des milieux bruyants, alors que c’est insupportable pour d’autres.
Et puis, certains communiquent en langue des signes. D’autres non.
Certains fréquentent une communauté majoritairement composée d’autres personnes sourdes. D’autres ne connaissent aucune autre personne qui entende mal, et ne sont entourés que de personnes entendantes.
Certains sont entre les deux. Nés sourds, mais oralistes, et peu à l’aise en langue des signes. Ou devenus malentendants, mais préférant la langue des signes à une communication orale devenue trop difficile avec leur communauté entendante d’origine.
Certains pratiquent la lecture labiale constamment, tandis que d’autres la rejettent, ou ne parviennent pas à lire sur les lèvres de façon assez performante pour vraiment s’en servir.
Certains sont à l’aise avec leur surdité, et la considèrent comme une identité plutôt que comme un handicap. D’autres se sentent diminués, isolés, en deuil. Et tout cela va influencer le choix des mots que chacun utilise pour parler de sa surdité.
Quand on dit que LA surdité n’existe pas, mais qu’il y a DES surdités, ce n’est vraiment rien de le dire.
En fait, le choix du terme que l’on utilise est très intime, et est lié à un cheminement personnel par rapport à la surdité et à son acceptation. Tous les termes sont justes, mais ne sont pas employés pour dire la même chose, ce qui rend leur compréhension difficile.
Alors, sourd ou malentendant ? La question reste entière.
Le plus simple serait peut-être, quand une personne vous dit qu’elle est sourde, malentendante ou qu’elle entend mal, de lui demander tout simplement ce que le terme qu’elle a choisi signifie pour elle, et quelle est la meilleure façon de communiquer avec elle.
Très bien résumé ! Pour ma part je me considère malentendante (je parle, je lis sur les lèvres et je comprends au téléphone)… mais surtout, je ne suis qu’entourée de personnes entendantes ; du coup, je pense (c’est mon avis) que pour la compréhension globale dans un monde ou les sons, les bruits… font partis de la vie courante, aide énormément la personne malentendante.
Merci Florence pour ton commentaire. C’est vrai que le fait d’être dans un monde d’entendants aide à ne pas décrocher et à continuer à faire tout ce qu’on peut pour comprendre. Je suis dans la même situation, entourée surtout de personnes entendantes. J’ai bien des contacts avec des personnes sourdes et malentendantes, mais celles-ci ne font pas partie de mon quotidien autant que mon entourage entendant.
Effectivement, très bien expliqué. Pour moi, je suis malentendant et je l’annonce quand il a besoin de l’être. Seulement, mon entourage me dit « sourd »; un peu agaçant de l’entendre dire je reconnais mais bon… Je ne peux écouter la radio, ni la télévision ou encore, une vidéo sur internet; cela ne me dérange aucunement. Je signe, mais mon entourage n’est fait que « d’entendants ». Et pour en dire plus, je n’ai qu’un couple d’amis qui fait l’effort de rendre plus facile nos échanges verbaux (répéter, parler en face, ne pas parler trop rapidement, écrire le cas où Etc.). Pour ma part, je n’ai jamais considéré mon problème de surdité comme un handicap; à ce sujet, je dirais que ce serait plutôt les « entendants » qui éprouvent un handicap face à l’individu souffrant de déficience auditive.
Bonne continuation à vous,
Franck.
Merci Franck, pour ton commentaire et témoignage. Je trouve ça fascinant de voir à quel point nous vivons notre perte auditive différemment.
Est-ce que tu signes depuis que tu es petit ou est-ce que tu as appris plus tard ?
C’est vrai que souvent les personnes que nous rencontrons ne savent pas trop quoi faire face à notre perte auditive. Mais je remarque que, petit à petit, mon entourage devient plus sensible à la question et fait plus d’efforts pour m’intégrer. Mais je fais aussi beaucoup d’efforts pour le leur rappeler !
Fascinant de voir que nous vivons notre perte auditive différemment effectivement et pour cause, nous sommes non pas toutes et tous différents mais bien uniques. Unique, car notre chemin de vie diffère des uns et des autres, notamment de par notre vécu d’enfant et pareillement pour notre personnalité naissante.
Pour répondre à la question : est-ce que tu signes depuis que tu es petit ou est-ce que tu as appris plus tard ?
Il me faut tout d’abord expliquer un peu le temps où ma surdité n’était connue. Enfant, j’avais (comme tant d’enfants ayant des difficultés auditives) du mal à suivre l’enseignement. Un enfant que l’on dit constamment dans la « Lune » et qui a du mal à suivre, forcément… Alors, changement d’école ! Mouais… Là un code gestuel nommé méthode Borel-Maisonny nous a été appris pour apprendre à lire correctement. Donc, un code gestuel et non la langue des signes. Pour vous donner une petite idée à ce sujet, il fallait prononcer le « J » en posant l’index sur la joue, sur la gorge pour le « R » ou encore sur le nez pour la lettre « N » ou tout simplement placer la paume de la main face à soi pour le « A ». Ce n’est que bien plus tard que j’ai su que les cours de langue des signes étaient interdite dans les écoles. ( Ben oui, cela date, puisque j’ai 47 ans).
J’ai donc commencé par cette méthode et lors des récréations la langue des signes. C’est surtout les anciens élèves qui nous apprenaient à signer (notamment des vulgarités). Et comme nous devions y rester 5 ans… Voilà un peu pour répondre à votre question.
Si vous avez d’autres questions, c’est avec plaisir que j’y répondrai.
Merci de ces explications, Franck ! J’aime beaucoup découvrir comment mes lecteurs vivent leur surdité, et me rendre compte de tous les points communs que nous avons, mais aussi de nos différentes expériences.
Le code gestuel dont vous parlez me fait penser au LPC (langage parlé complété) qui aide à comprendre les sons, et qui est plus facile à apprendre que la langue des signes.
Bonne continuation, et merci de vos commentaires !
Bonjour Armelle !
tu dis que tu as une perte auditive dans les médiums et c’est aussi mon cas. Ca ressemble au fameux « cookie bite » et je suis apparemment née comme ca (on a détecté ca dès les premiers tests faits dans la petite enfance). Seulement, le « problème » est que j’ai choisi une voie professionnelle un peu spécifique, puisque je suis devenue musicienne classique (!). Suite à une consultation chez un ORL doué de peu d’empathie et de tact, je me suis entendue dire que j’aurais besoin d’un appareil ! Et voilà plus d’un an que je suis tiraillée dans tous les sens…entre l’acceptation de cette « malentendance » (que j’expérimente évidemment au jour le jour dans certaines situations sociales) et l’impossibiité apparente de trouver une solution satisfaisante à cela…je voulais donc te demander si tu es appareillée ? Si à partir du moment où l’on est appareillé, écouter sans appareil est tout à coup beaucoup moins habituel donc on perd les capacités qu’on avait développé (intuition, lecture des lèvres, déduction) sans appareil ? J’ai essayé une fois un petit contour qui était réglé sur ma perte d’audition et c’etait vraiment très étrange. Non seulement les sons sont bien sûr déformés (inimaginable pour la musique donc…) mais en plus j’entendais tout à coup des tas de bruits qui me semblent très parasites, car je ne les ai probablement jamais entendu depuis que je suis née ! Et je vis très bien sans ces bruits-là …Pour ajouter au problème, je me considère comme relativement hyperacousique, mais j’ignore si c’est par paranoia d’aggraver mon audition ou si le problème est physique. Pour moi, au-dela de 80 décibels, j’ai le reflexe de me boucher les oreilles!
Je serai ravie si tu acceptes d’échanger un peu avec moi ton experience!
Merci beaucoup pour ton message Stella ! Je me reconnais tout à fait dans ta description du cookie bite, de la visite chez l’ORL et de soudain l’annonce de l’appareillage nécessaire.
J’ai aussi fait de la musique pendant pas mal de temps (piano, clarinette, flûte à bec, chant), y compris classique. Je me suis mise à la basse il y a peu, parce que j’entends bien les basses dans à peu près toutes les musiques (et aussi, énoooorme coup de coeur pour l’instrument). Bon, pas la contrebasse, hein, parce que j’ai besoin des frets pour être sûre que je ne joue pas à côté. Ton parcours de musicienne classique m’intéresse. Je vais te contacter en MP pour continuer cette discussion.
Merci encore de ton intérêt !
Armelle