Je me suis posée beaucoup de questions sur ce sujet, ces derniers temps.
Qui suis-je, moi qui perds l’audition ? Mon handicap me définit-il, au moins en partie ?
A partir de quel moment la perte d’audition devient-elle une partie de moi, indissociable de ce que je suis ?
La réponse à ces questions est bien sûr très personnelle, et ne sera pas la même d’une personne à l’autre.
Le fait est que, quand je rencontre quelqu’un, et si je veux que la communication se passe bien, il m’est nécessaire de parler de mon handicap, de l’annoncer, de l’expliquer. Et je deviens, aux yeux de l’autre, Armelle la malentendante, ou celle qui entend mal. C’est surtout le cas pour ceux que je connais peu ou que je viens de rencontrer. Comme si ce handicap devenait ma caractéristique principale, avant ma façon d’appréhender le monde ou ma tendance à m’intéresser à des milliers de choses à la fois.
D’un autre côté, il m’arrive fréquemment d’oublier que j’entends mal. Des fois j’en oublie même de mettre mes appareils. Comme si je n’avais pas vraiment intégré cet inconvénient que sont mes oreilles défaillantes, comme si cela me caractérisait si peu que je pouvais parfaitement ne pas en tenir compte.
Et pourtant…
Je trouve cette question épineuse. Qui étais-je quand j’entendais bien ? Et qui suis-je devenue maintenant que j’entends beaucoup moins bien ?
Mon identité a-t-elle changé ?
Toutes mes réponses à ces questions me semblent doubles et paradoxales.
Oui, j’ai changé. Mes réactions ne sont plus les mêmes, ma façon de percevoir le monde n’est plus la même, mes conversations sont différentes aussi. Je n’entre plus dans les discussions sur la pluie et le beau temps, ni dans le badinage sans intérêt. Je suis vite perdue dans une conversation amusante et superficielle qui fuse dans un groupe, et je préfère me concentrer sur une conversation plus profonde et significative, avec un seul interlocuteur de préférence.
C’est peut-être moins léger que je ne l’ai été à l’époque où la communication était facile.
C’est peut-être plus intense pour les autres, qui suivent ou ne suivent pas.
Mais en fait, ça correspond assez à qui j’ai toujours été. Il y a juste une phase d’approche en moins, et c’est plus immédiat.
Car en même temps, je suis restée la même.
Bien sûr, j’ai grandi, j’ai vieilli, mûri, et changé d’avis sur plein de choses.
Mais au fond, je suis toujours une personne qui s’intéresse aux autres, et qui n’a pas envie de rester à la surface des choses.
La perte d’audition m’a fait évoluer plus vite, m’a rendue plus directe peut-être.
Pour autant, le handicap fait-il de moi une personne plus courageuse parce que je fais, ou continue à faire, certaines choses ?
Parce que je continue à faire de la musique, coûte que coûte et malgré tout ? Parce que je continue à me mettre dans des situations où je rencontre de nouvelles personnes ? Où je parle des langues étrangères ? Où je me mets en difficulté ?
Certes, cela me demande plus d’efforts qu’à une personne qui entend bien. Mais pour moi, c’est une question de survie.
Parce que si je ne fais plus toutes ces choses, et que je reste enfermée chez moi sans faire autre chose que de regarder la télévision avec les sous-titres, je me sens couler. Et je n’aime pas cette sensation.
Alors naturellement, et même si je n’y arrive pas constamment, je fais ce dont j’ai besoin pour me sentir bien. Et je ne me sens pas particulièrement audacieuse pour autant.
En fait, il est difficile de répondre à cette question de l’identité pour la bonne raison qu’on oublie. J’ai oublié, déjà, qui j’étais avant d’entendre mal.
Peut-être que, si j’entendais bien, je parlerais moins fort, j’écouterais les autres à longueur de journée, j’irais au cinéma toutes les semaines et je serais au courant des dernières révélations musicales.
Mais cela fait maintenant 10 ans que je vis avec ce handicap. Il fait partie de moi. J’aimerais bien pouvoir dire qu’il ne dicte pas qui je suis. Et dans une certaine mesure, c’est le cas.
Mais il m’influence, il détermine certaines de mes décisions et de mes réactions, et aussi ma façon de voir les choses et de me projeter dans le futur.
Au bout du compte, il est indissociable de ce que je suis.
Bien sûr, le fait de devenir malentendante ne m’a pas complètement transformée en quelqu’un que je n’aurais jamais pu être autrement, mais cela m’a modelée, a accentué certains traits que j’avais, et en a estompé d’autres.
Et c’est maintenant une des facettes de mon identité, qui ne se résume bien sûr pas à ça !
Et vous, comment percevez-vous votre identité en tant que malentendant ou sourd ? Avez-vous l’impression que le handicap définit l’identité de ceux que vous côtoyez ? Ou pas du tout ?
N’hésitez pas à participer à la discussion !