Tu t’étais habitué à ta perte d’audition.
Tu t’étais habitué à mettre tes appareils auditifs tous les matins.
Tu t’étais même habitué aux moments où il faut faire répéter cinq ou six fois pour ne pas comprendre malgré tout.
Tu avais trouvé un nouvel équilibre, tu t’étais adapté.
Et là, tout recommence.
On te dit de plus en plus que tu fais beaucoup répéter. On s’en étonne. Tu grimaces à chaque fois.
Tu ne reconnais plus les chansons que tu reconnaissais avant, et la musique ne ressemble plus à rien.
Ou peut-être que tu sors d’un spectacle qu’il y a peu de temps, tu aurais pu suivre. Mais tu n’as rien compris. Pas un mot. Ou plutôt si, un mot ici et là, mais pas assez pour comprendre la trame de l’histoire. Tu ressors les larmes aux yeux, la colère au ventre. Tu as envie de hurler.
Et là, tu vas chez l’ORL pour faire un nouvel audiogramme.
Et c’est confirmé.
Tu as perdu encore 5, 10, ou 20% de ton audition déjà défaillante. Ou peut-être plus.
Tu lèves la tête vers le médecin, espérant recevoir un message d’espoir, la nouvelle d’une avancée médicale qui pourrait réparer tout ça, ou même simplement du soutien. Mais le médecin sourit vaguement d’un air gêné, et reste aveugle à tes yeux embués, et à ta voix qui se casse au beau milieu de ta question :
« Mais alors, il n’y a rien à faire ? »
Eh non, il n’y a rien à faire. Simplement retourner voir ton audioprothésiste, augmenter les réglages de tes appareils, et recommencer cette #@*% de phase d’adaptation qui est si pénible, à chaque fois.
Cette expérience, je l’ai vécue deux fois déjà. Une perte de 20% à chaque fois, par rapport à l’audiogramme précédent.
L’estomac qui semble faire un saut à l’élastique, l’émotion qui étrangle, je l’ai ressenti à chaque fois. L’impression que c’est la fin, peut-être. Que plus rien ne pourra être bien après ça. Que tout ça n’en vaut plus la peine.
Et puis je suis allée chez mon audioprothésiste.
J’ai fait régler mes appareils.
Je me suis réhabituée.
C’est vrai que le moment de la nouvelle est vraiment difficile.
Une impression de se faire engloutir par les abysses. La tête sous l’eau, sans pouvoir remonter pour prendre l’air.
La chance que j’ai eue, et que j’ai toujours, c’est d’être bien entourée.
Le fait de me rendre compte que mon couple est solide, et que ma perte auditive ne sera pas la cause d’une déchirure, déjà, c’est énorme.
Et aussi la présence de ma famille et de mes amis.
Et enfin, la confiance en moi. Cette petite voix intérieure qui m’assure que quoi qu’il arrive, je trouverai comment faire face. Que j’ai assez de créativité, assez de résilience et assez de soutien pour rebondir, cette fois encore.
L’espoir que la technologie va continuer à progresser, et que bientôt, j’aurai une application sur mon téléphone qui me permettra de téléphoner avec des sous-titres en temps réel. Bientôt.
Et puis, finalement, cette période passe, et je m’habitue.
Je m’habitue à la perte d’audition.
Je m’habitue à mettre mes appareils auditifs tous les matins.
Je m’habitue même aux moments où il faut faire répéter cinq ou six fois pour ne pas comprendre malgré tout.
Et je recommence à voir de la beauté autour de moi, à ressentir l’exaltation d’avoir des projets, et la joie d’être en vie.